Depuis le 1er février, il n’y a plus de Musée d’art moderne et contemporain à Bruxelles. Un groupe d’enthousiastes veut en ériger un nouveau pour dans dix ans.
Un geste architectural fort, produit d’un grand concours d’architecture international, une localisation idéale, de riches collections et 600.000 à un million de visiteurs chaque année. Qu’est-ce que c’est ? Le futur musée d’art moderne et contemporain de Bruxelles. Un quarteron de personnalités enthousiastes, rejoint par une quinzaine de mécènes, voit grand et beau à l’horizon 2022. Il veut doter Bruxelles de ce grand musée, un « Guggenheim » bruxellois sans Guggenheim, en quelque sorte. Et le faire avec de l’argent privé.
« Qu’est-ce qu’on a fait pour être vraiment capitale de l’Europe ? Le Juste-Lipse et le Berlaymont, deux bâtiments plus que quelconques, c’est tout ! » Alain Courtois, sénateur MR et conseiller communal à Bruxelles, ne mâche pas ses mots : « Avec Mitterrand, ça aurait pétaradé dans tous les coins, même Chirac a eu son Musée du quai Branly. Nous, on aurait pu faire dix fois plus. Mais on manque vachement d’ambitions. Alors que plus de 34 entreprises belges sont sur le podium d’une Coupe du monde, alors qu’il n’y a pas de Jeux olympiques sans contrat belge. Bruxelles, pour les gens, c’est Brussels, une ville de méchants fonctionnaires. Moi je veux montrer que Bruxelles n’est pas cela. »
Et pour le faire, Alain Courtois projette un Musée d’art moderne et contemporain. C’est le bon moment. Parce qu’il n’y a plus de Musée d’art moderne à Bruxelles depuis le 1erfévrier. Les collections des Musées royaux des beaux-arts, qui étaient enterrées sous la place du Musée, ont été enlevées. On rénove ces locaux pour y installer un Musée fin de siècle.
Et les collections modernes et contemporaines ? Une petite sélection est proposée dans le grand patio des Musées. Mais cela n’est, évidemment, qu’un pis-aller. Certains manifestent régulièrement rue de la Régence pour revenir à la situation d’avant. D’autres préfèrent se tourner vers l’avenir et entreprendre un projet très ambitieux : celui de construire un nouveau musée à Bruxelles.
Un groupe de travail est formé : Alain Courtois, Michel Draguet (directeur des Musées royaux des beaux-arts et directeur ad interim des Musées royaux d’art et d’histoire du Cinquantenaire), Philippe Mettens (président de la Politique scientifique fédérale, dont dépendent les grands musées) et Philippe Close, échevin PS de la ville de Bruxelles. Intérêts convergents, ambitions identiques : ensemble, ils ont foncé.
« Le travail a bien démarré, explique Alain Courtois. Nous avons examiné sept à huit localisations possibles, nous en avons sélectionné trois. Nous avons contacté des mécènes, des entreprises, nous avons étudié la superficie nécessaire, le budget adéquat, etc. »
Résultat ? Surface : 6.000 à 10.000 m2. Budget : 60 millions d’euros. Localisation : le parc du Cinquantenaire, le boulevard de Berlaimont ou le plateau du Heysel. « La volonté est de ne pas faire intervenir le public, affirme Alain Courtois. A part éventuellement pour le terrain, le précompte immobilier ou une forme de tax shelter. »
D’ailleurs, le comité de travail n’est plus seul. Il est flanqué d’un comité d’accompagnement, « parce qu’on doit crédibiliser le projet en s’adjoignant des gens qui ont l’expérience et les moyens ». Ce comité comporte 14 membres. Il est présidé par Philippe Delusinne, administrateur délégué de RTL. Il comprend, entre autres, Albert Frère (CNP), Luc Bertrand (Ackermans & Van Haren), Baudouin Michiels (Unibra), Georges Jacobs (Delhaize), Thomas Leysen, (KBC), etc. Première réunion, le 14 septembre. Albert Frère en premier, ces personnalités sont des amateurs d’art. Ils semblent, aux promoteurs enthousiastes du projet, indispensables à sa concrétisation.
A Bilbao, l’installation d’un Guggenheim imaginé par Frank Gehry a changé le visage de la ville. C’est ce que désirent faire Courtois & Co à Bruxelles. Sans Guggenheim, parce que Bruxelles n’est pas Bilbao. Avec les riches collections actuelles des Musées royaux et avec celles de collectionneurs qui pourraient prêter leurs œuvres, comme au Musée Magritte.
Michel Draguet, en tout cas, y croit. « Si ce projet n’était pas crédible, personne ne perdrait son temps à y travailler. Il reste peu d’enthousiasme en Belgique, l’ambition manque, alors allons-y. C’est possible avec le Pompidou à Metz, avec le Louvre à Lens. Chez nous aussi. Il était nécessaire de fermer l’art moderne parce qu’il ne méritait pas d’être enterré. Alors avançons. Et ce qui me frappe précisément chez Alain Courtois, c’est son enthousiasme alors que le sentiment partagé chez nous est plutôt celui du renoncement. »
Philippe Mettens s’y met aussi. « C’est un grand projet mobilisateur, un grand musée d’art moderne, adapté à Bruxelles, qui marque son temps. C’est tout à fait faisable, avec un partenariat public-privé intelligent. Et c’est dans la dynamique de développement des établissements scientifiques fédéraux. Car ce nouveau Musée dépendra évidemment des Musées royaux des beaux-arts, comme le Musée Magritte. »
Courtois, Draguet, Mettens et Close veulent en tout cas aller vite. Localisation décidée et « business plan » bouclé pour la fin de cette année. Et dix ans plus tard, une Arche de la Défense, un Guggenheim ou un Centre Pompidou bruxellois. De quoi nous rendre fiers…
Le Soir, JEAN-CLAUDE VANTROYEN. mardi 26 juillet 2011, 08:59