Or, par une décision unilatérale de leur directeur prise en février 2011, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique’, vieux de près de deux cents ans, ont été amputés de tout leur département d’art moderne… Nous ne pouvons que le répéter : fermer un musée et réduire ses œuvres au silence a quelque chose de choquant.
Une « première », cette fermeture ? Non. Bruxelles s’est déjà retrouvé sans Musée d’Art moderne. C’était en 1959 et il a fallu vingt-cinq ans pour le ramener à la vie ! Allons-nous revivre un tel scénario… ? Sans doute. Même si les circonstances ne sont pas les mêmes, ni les responsables, l’histoire bégaye souvent… En 1959, c’est en vue de la transformation du Mont-des-Arts et de l’agrandissement de la Bibliothèque royale que le musée d’Art moderne, qui occupe alors le Palais de Charles de Lorraine, Place du Musée, est contraint de fermer ses portes. Sine die. Comme aujourd’hui, il est annoncé qu’on lui trouvera un lieu. Les propositions envisagées, dont la Bourse, le site de l’Expo 58, le bâtiment Glaverbel, Meise, le Cinquantenaire… sont toutes aussitôt abandonnées. Comme la décision tarde, des locaux provisoires – l’ancienne bijouterie Altenloh, 1, Place royale – lui sont affectés en 1962. Les lieux sont exigus, à cette époque, mais la direction se démène et, à défaut de pouvoir déploier ses collections permanentes, elle y présentera quelque 100 expositions temporaires jusqu’en 1978 !
En 1966, enfin, la décision est prise : on construira un nouveau musée ! Roger Bastin (architecte du nouveau Musée de Mariemont) est sollicité. Avant-projets, contestations (entre autres de l’Aarau), nouveaux projets. Après consultation d’une commission internationale composée de muséologues, de sociologues, d’urbanistes, d’architectes, le site est choisi et le projet d’un musée souterrain, sur huit niveaux, confirmé. Il est inauguré en 1984.
Et fermé à nouveau, un quart de siècle ans plus tard… Brutalement, sans concertation. Logique puisque – cela a été dit – il n’y aurait pas, il n’y aurait jamais eu d’art moderne en Belgique… ! En lieu et place, il est décidé de créer un nouveau musée dit « fin de siècle ». Fin dix-neuvième siècle, s’entend avec, ce qui a du sens, un prolongement jusqu’en 1914, ce qui n’empêche que le renouveau, les ruptures qui caractérisent la période qui vient ensuite ne devraient pas en être.
Si d’aucuns – inattentifs – n’ont pas encore pris conscience des conséquences profondes de cette décision, d’autres s’en émeuvent, se sentent trahis. Artistes, enseignants et étudiants, responsables d’associations d’éducation permanente, critiques d’art, gens de musées, intellectuels de tous bords et citoyens et citoyennes…, n’ont pas accepté la situation. Les actions de protestation menées depuis février 2011par le collectif MSM – MZM (Musée sans musée – Museum zonder museum) ont été pacifiques, créatives, voire ludiques. Elles ont été remarquées. Certains organes de presse lui ont réservé un bel écho (RTBf, La Libre…). Pas tous. Des lobbys ont dû jouer… Il faut dire que le directeur des MRBAB se sent soutenu par les Ministres responsables successifs et leur administration. Sabine Laruelle a laissé faire. Paul Magnette, qui lui a succédé, a proposé, sans pour autant désavouer la fermeture, d’utiliser des lieux inutilisés du Musée d’art ancien. Projet abandonné. Plus tard, Philippe Courard a d’abord parlé d’un musée itinérant, avant d’envisager d’autres projets. Tout cela sera (serait) très coûteux. Le projet de construction d’un nouveau musée – nécessairement prestigieux, donc assortis de prouesses architecturales du genre Guggenheim (ose-t-on avancer, sans avoir le premier euro…) – est régulièrement évoqué. Improbable dans le contexte financier actuel mais cela permet de différer le moment d’annoncer les impossibilités… En attendant, on serait à la recherche de sponsors privés susceptibles de financer un déménagement provisoire et coûteux vers les « Anciens magasins Vanderborght » – « ex-Dexia Center » qui, miracle, est tout près de la Grand-Place, ce qui confirme que la cible est bien le touriste.
Et la culture, dans tout çà ? La fonction première du musée, donc des Musées royaux des Beaux-Arts – Art ancien et art moderne – est-elle encore envisagée ? En renonçant à présenter une partie essentielle de ses collections (remarquons qu’une partie conséquente du Musée d’Art ancien est également inaccessible), l’institution prive le public de la possibilité de prendre conscience de la continuité et des ruptures dans la création artistique. De son histoire ! C’est un virage dangereux. Certes, le musée « Fin de siècle » sera sans doute intéressant (le contraire serait désolant). Mais c’est pour ce musée-là – comme pour le Musée Magritte – qu’il eût fallu trouver de nouveaux lieux !
La culture et l’éducation sont-elles toujours des priorités ? Doivent-elles encore bénéficier d’un accès démocratique ? Des protestations ont été émises à propos de changements dans la tarification des musées fédéraux, notamment des réductions et gratuités dont bénéficiaient les personnes âgées et les moins de dix-huit ans, les personnes handicapées et accompagnateurs, les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires d’un revenu d’intégration. Les nouvelles mesures excluent certaines catégories de public – de fait – de l’accès à la culture. Les tarifs peuvent s’envoler jusqu’à 17,50 euros pour une exposition temporaire aux MRBAB ! Le site Consoloisirs de Bernard Hennebert s’en est fait l’écho et un certain nombre de personnalités politiques* s’en sont émues, attirant l’attention sur le fait que certains musées, dont les Musées royaux des Beaux-Arts, dispersent les sites, donc la présentation de leurs collections : à côté du musée d’Art ancien (donc sans musée d’art moderne) et du Musée Magritte, naîtra le musée Fin de siècle. Bien que Michel Draguet se soit – semble-t-il – engagé à ne pas faire de tarification spécifique…, la crainte est réelle que l’accès à l’ensemble des collections des MRBAB ne puisse se faire qu’à des conditions inacceptables.
* Plusieurs questions et interpellations parlementaires (de Damien Thiéry, Eric Jadot, Muriel Gerkens, Stefaan Van Hecke, Cathy Condyser, entre autres) ont été émises sur le fond de l’affaire mais aussi, plus récemment, à propos de la politique tarifaire des musées fédéraux.
Le groupe de travail « musées » de Culture & Démocratie, La Lettre de « Culture & Démocratie », 18/09/2013, n°68.