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Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, Art Moderne, Cinquantenaire, IRPA : après tout et avant rien ?

Musées des Beaux-Arts de Bruxelles en décembre 2015 : après tout et avant rien ?

 

Voilà plus d’un an que le Gouvernement belge est en place. Un an déjà que des mesures budgétaires drastiques d’économie ont été annoncées, puis appliquées sans ménagements. Le monde culturel s’en est fortement et médiatiquement ému, puis le soufflé est retombé. Tout comme pour le récent appel des scientifiques flamands auprès de Madame Sleurs, Secrétaire d’Etat chargée, entre autres, des matières culturelles et scientifiques. La Carte Blanche (Cinq ans sans musée d’Art Moderne… C’est assez !) publiée par MsM/MzM dans la Libre Belgique du 20 janvier dernier, à la rédaction de laquelle j’ai collaboré, est passée encore plus inaperçue. Il ne serait pas exagéré de dire que pas une vague n’a été observée, ni politique, ni scientifique, ni intellectuelle, ni de qui que ce soit. Flop dans les trois cas. Le navire gouvernemental tient son cap.
C’était par ailleurs le silence total jusqu’au 11 décembre dans tous les milieux concernés (en principe) par les musées. Plus rien n’a filtré nulle part. Mes informateurs habituels sont toujours aux abonnés absents. Perplexité devant ce silence général.
Il en est de même à propos des projets «alternatifs», plus encore à propos du Quai Citroën, joli coquille vide sans espoir de collection. Il en est jusqu’au Directeur du Musée des Beaux-Arts, qui a totalement perdu la voix ; pourtant si prolixe jusque dans un passé récent.

Curieusement, je me souviens pourtant de promesses ministérielles. Des délais courts étaient précisés. Souvenirs aussi de projets pour les musées, d’une évaluation de la direction des Beaux-Arts, de… Inutile d’en ajouter.
En fait de projet, la naissance des «clusters» a été annoncée sans grandes précisions, sous couvert d’un avenir meilleur. Du déjà vu maintes fois. Sorte de prélude pour une fin des musées, dont nous reparlerons.
Nous sommes à présent devant une œuvre chère à Philippe Dussaert (1947-1989), que j’ai bien connu : Blanc sur blanc, la vacuité absolue. Ce vide sidéral rappelle que le Musée d’Art Moderne est toujours fermé. Sauvagement fermé depuis cinq ans (1er février 2011 pour mémoire).

La volonté politique de Madame Sleurs de redresser les établissements scientifiques n’est plus aussi claire qu’en janvier dernier 2015, malgré les bonnes dispositions affichées (fausses ou sans moyens ?). Elle est en passe de rejoindre les précédents Ministres au cimetière des bonnes intentions. La fin du musée au sens défendu par l’ICOM et par tous les musées du monde, semble aussi proche qu’avec les défunts pôles. Elle l’est probablement davantage parce que ses modalités sont défendues par un membre du Gouvernement, dont on perçoit bien à présent l’objectif «communautaire». Les récentes déclarations d’élus NVA, de ce mois de janvier, ne laissent aucun doute à ce sujet.

Nous étions en décembre 2015 «après tout», dans l’espoir d’une réelle revitalisation des musées, et nous voilà aujourd’hui très probablement «avant rien». A notre place de toujours finalement. Nous pouvons cependant franchir encore un pas et légitimement douter de la parole politique quelle que soit sa couleur ou son emballage.

Ne vous trompez pas, je ne suis pas contre toute idée de changement. Encore faut-il que ce changement ait un sens. Si c’est le cas, il n’est pas perceptible dans ce que le Cabinet appelle poétiquement : «Note de vision». Est-ce une forme d’autodérision ? Ce que j’en comprends ne dénote pas précisément d’une véritable «vision». Il s’agit d’un projet concocté en chambre, sans concertation, que l’on essaie de créer a posteriori, autour de lignes directrices qui ne dénotent pas précisément d’une connaissance profonde des musées. J’ai combattu les pôles de Philippe Mettens, mais tout n’est pas à jeter. Pourquoi tenter de réinventer la roue, alors qu’il a fait travailler soixante (60 !) groupes de travail sur des questions de fond. Il doit bien y avoir quelque chose d’utilisable dans cette somme de connaissances.

Il faut le souligner : je ne suis pas contre toute forme de changement. Il est nécessaire au contraire. Mais il faut qu’il soit porteur de sens. Ce n’est le cas ni avec les pôles, ni avec les clusters, dans la mesure de ce que l’on peut en comprendre aujourd’hui.

Si la Ministre tient réellement au bien de ces institutions, ainsi qu’elle le dit, il y a une mesure principale à prendre. Elle est toute simple et peut l’être sans délais. Il suffirait, de donner à ces établissements l’autonomie de gestion (elle est bien encadrée par la Loi) et leur garantir que les fonds propres générés par leur activité leur appartiennent réellement, ce qui n’est pas le cas. Le Gouvernement les a siphonnés pour les jeter dans le grand trou noir.
Les établissements ont également besoin d’une prise directe sur la maintenance des bâtiments qui n’est clairement pas la priorité de la tutelle depuis plus de 20 ans.L’autonomie a plusieurs avantages, dont le principal est de permettre à ces institutions de fonctionner immédiatement selon un modèle nouveau et non dans deux, trois, voire quatre ans.
Le deuxième est que cela ne coûterait réellement pas un euro, contrairement à toute nouvelle structure restant encore à définir. L’environnement institutionnel actuel suffirait largement pour y parvenir. Evidemment, cela ne peut se faire sans un refinancement et le remplacement des postes vacants depuis des années. On ne peut continuellement répartir sur ceux qui restent la charge de travail du partant. A ce train, le burnout ne manquera pas d’être la première cause d’absence. Tout aussi grave, la qualité scientifique ne pourra certainement pas être maintenue. Or, il semble que l’ensemble de l’opération prévue doive être réalisée à budget constant…Le sort des musées royaux et de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique intéresse-t-il encore quelqu’un ? Voilà la question de fond.

Il faut à présent ajouter le Musée de l’Armée à cette liste. La différence de tutelle ne change rien à ce nouveau naufrage annoncé depuis des années.

Gérard de Wallens, blogspot, 1er février 2016

 

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La culture se décide à tous les niveaux

Tour d’horizon des enjeux culturels hors de la Communauté française.

La politique culturelle n’est pas qu’une affaire de Communauté française et flamande. Les Régions, par exemple, peuvent jouer un rôle plus que subsidiaire.

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Région bruxelloise

La Région bruxelloise est particulière. C’est la seule capitale qui n’a pas de compétence directement culturelle. Et il lui faut des périphrases (le rayonnement de Bruxelles, etc.) pour soutenir la culture. De nombreuses associations bruxelloises plaident pour que la Région reçoive demain des compétences culturelles à côté de celles des deux Communautés. De quoi soutenir des initiatives bicommunautaires, voire multicommunautaires. Car comme le montre le spectacle actuel au Kunsten, « 100 % Bruxelles », la Région est fortement multilingue et multiculturelle.

Gouvernement fédéral

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Les pôles

Mais le dossier culturel fédéral le plus emblématique fut celui des institutions culturelles et scientifiques restées fédérales. Si « le biculturel » s’en est bien sorti (rayonnement de Bozar, Monnaie, etc.), l’avenir des grands musées (Beaux-Arts, Cinquantenaire, Tervuren, etc.), de la Bibliothèque royale, les Archives, etc., fut un des sujets lancinants de la législature. Si ces établissements firent un grand travail scientifique et culturel, si Tervuren s’est lancé dans une très grande rénovation, la question de leur statut n’est pas réglée. Le président de l’administration de la politique scientifique, Philippe Mettens (PS) et le directeur du musée des Beaux-Arts, Michel Draguet ont travaillé à ce que ces institutions se regroupent, forment des « pôles » avec synergies et directions communes, pour mieux résister disaient-ils, aux restrictions budgétaires et aux risques communautaires. Mais ce projet fut arrêté par le secrétaire d’Etat Philippe Courard qui a constaté que les oppositions restaient extrêmement vives et Michel Draguet partisan « d’un pôle Art » entre Beaux-Arts, Cinquantenaire et Irpa s’est replié sur le seul musée des Beaux-Arts. Un autre courant prône tout au contraire, davantage d’autonomie de chaque institution avec des discussions volontaires entre elles pour mutualiser des coûts. Le dossier sera sur la table du prochain gouvernement. On le lit dans le programme du CD&V qui est ouvertement pour le second courant, prône de détacher ces établissements de la politique scientifique et de leur donner une plus grande autonomie, comme en a Bozar) et d’y associer davantage, via leurs conseils d’administration, le fédéral et les communautés.

Le musée d’Art moderne

Un autre point de crispation de la législature est le dossier du musée d’Art moderne, fermé il y a trois ans, en pleines affaires courantes, quand on négociait « un impossible » gouvernement, pour y placer le nouveau musée fin de siècle ouvert en décembre. Cette affaire, ajoutée à la fermeture en catastrophe de l’exposition van der Weyden pour cause de fuites d’eau, a fragilisé le directeur Michel Draguet. La solution évoquée de rouvrir en 2016 le musée d’Art moderne dans les anciens établissements Vanderborght rénovés (près de la Grand-Place) reste contestée et n’est pas encore assurée. Ne faut-il pas d’abord rénover d’urgence les salles fermées du musée d’Art ancien ? Et qu’en sera-t-il du souhait de la Région bruxelloise de créer un musée d’Art moderne et contemporain dans le garage Citroën de la place de l’Yser ? Qui va payer ? Quelles collections y mettre ? Faut-il maintenir l’idée de ces doubles travaux (installation provisoire au Vanderborght, définitive au Citroën) ou faut-il fusionner les deux projets ? Ou remettre le musée d’Art moderne à la rue de la Régence ?

Guy Duplat, La Libre,  mardi 06 mai 2014 

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Après la démission de Michel Draguet du Cinquantenaire, quel avenir pour les musées bruxellois ?

Le plan de réformes des institutions scientifiques fédérales recalé par le ministre de tutelle

Un avis de tempête avait été lancé ces dernières semaines avec une journée du lundi 10 février annoncée comme particulièrement agitée pour les projets de réformes que l’Administration belge de la politique scientifique cherchait à faire passer depuis plus de trois ans (voir notamment). Très contestés par plusieurs directions et de nombreux membres du personnel des institutions, leurs promoteurs avaient été contraints de revoir les plans en question. Une nouvelle mouture, résultat d’innombrables discussions rendues nécessaires par les faiblesses du projet, a été proposée le lundi 10 dernier par Philippe Mettens, président de l’Administration de la politique scientifique, au ministre de tutelle, Philippe Courard. Celui-ci estima la note insatisfaisante et qu’il ne pouvait suivre son fonctionnaire. Le plan de réformes, très loin de faire le consensus auquel essaie de faire croire Philippe Mettens, ne sera donc pas présenté en l’état au gouvernement. Comme des élections sont prévues en mai prochain, il ne faut rien espérer avant de nombreux mois, la formation du prochain gouvernement risquant d’être particulièrement laborieuse.

Exit le « Pôle Art »

Voyons en quoi les derniers épisodes de ce mauvais feuilleton ont des retombées sur les Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (MRBA) et sur les Musées royaux d’Art et d’Histoire (communément nommés le Cinquantenaire). Rappelons d’abord qu’il avait été initialement envisagé de rassembler au sein d’une entité nommée « Pôle Art » ces deux musées auxquels allait être adjoint également l’Institut royal du Patrimoine artistique (Irpa). Ce n’était un secret pour personne que la fonction de directeur de ce pôle était destinée à Michel Draguet. Ce projet revenait à neutraliser la spécificité de l’Irpa et sa position de centre internationalement reconnu non seulement en matière de conservation et de restauration des œuvres d’art mais aussi de recherche en histoire de l’art. La direction de l’Irpa s’opposa à ce projet avec pour heureuse conséquence, confirmée par la décision ministérielle de lundi dernier, que l’établissement gardera finalement son statut autonome. Restait le sort des deux musées dont on sait que le premier est dirigé par Michel Draguet et que le second l’est de manière intérimaire (depuis 3 ans et demi !) par la même personne. Le plan présenté par Mettens après révision prévoyait que la fusion des deux musées soit maintenue et qu’ils soient placés sous la houlette du seul Michel Draguet. Le ministre y a renoncé également. Chaque musée garde dès lors lui aussi son autonomie. Et la démission de Michel Draguet au poste de directeur intérimaire du Cinquantenaire a été confirmée par un communiqué (Voir La Libre Belgique du 14 février 2014). Le ministre entend d’ailleurs ouvrir au plus vite un poste spécifique de directeur général des Musées royaux d’Art et d’Histoire1.

Un grand danger est donc – du moins pour le moment – écarté puisque la fusion des deux musées constituait un des éléments essentiels à la mise en œuvre des projets de Michel Draguet qui comptait notamment puiser dans les collections du Cinquantenaire pour étoffer les multiples musées dont il envisageait la création. Parmi les plus grandes inepties annoncées figurait, on s’en souvient, un projet de « I Fiamminghi Museum » qui n’envisageait rien de moins que le déménagement aux MRBA de retables sculptés gothiques du Cinquantenaire ! A l’heure actuelle cette perspective-là est abandonnée.

Des problèmes loin d’être résolus pour autant

En ce qui concerne d’une manière plus générale l’avenir des musées, le coup de frein donné aujourd’hui est certes le bienvenu. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : il est loin de tout résoudre car la manière dont ils ont été gérés durant la dernière décennie a placés ces établissements en fâcheuse position. On était arrivé au bord de l’implosion dans le cas du Cinquantenaire. Quant à la réputation des MRBA, déjà peu brillante suite aux fermetures successives de salles et autres mesures inadéquates, elle est au plus bas depuis le scandale inimaginable des perceuses (nécessitant l’apport de quantités énormes d’eau) mises en activité dans la toiture couvrant directement les salles où se trouvaient des panneaux venus des quatre coins du monde à l’occasion de l’exposition Van der Weyden qui dut être fermée en catastrophe trois jours après son vernissage (voir la brève du 22/11/13 sur ce site). La pente à remonter est raide ! Les exploits de Michel Draguet avec son musée Magritte d’abord, puis avec son « Fin-de-Siècle », n’auront été que des cache-misère. Ceci ne veut pas dire qu’il est responsable de la totalité du désastre. Car il est vrai que lors de son entrée en fonction (il y a neuf ans !), il a hérité d’institutions déjà mal en point. Hélas, pendant cette quasi décennie de pouvoir, au lieu de faire face aux défis faciles à identifier mais ingrats, il multiplia les gesticulations, préférant les opérations tape-à-l’œil à la gestion sage, négligeant les urgences (ne serait-ce que par la définition des priorités dans l’entretien des bâtiments) au profit de l’événementiel et de projets irréalisables (que ses défenseurs qualifient généreusement de visionnaires !). Il est donc bien illusoire de croire que les décisions prises aujourd’hui par le ministre vont beaucoup améliorer une situation que de plus en plus de monde s’accorde à considérer comme désastreuse2. Et rien ne compensera jamais l’énormité du temps et de l’argent perdus !

En ce qui concerne le Cinquantenaire, la démission de Michel Draguet fait ressortir au grand jour l’anomalie fondamentale que constitue l’absence de directeur nommé. Il n’y a d’ailleurs pas non plus de directeur nommé à l‘lrpa depuis trois ans. Le ministre a promis de remédier à cette situation. On l’attend. Mais la proximité des élections ne laisse pas augurer une solution rapide.

« Le Cinquantenaire se délite »

(…)

Le devenir des Musées des Beaux-Arts

S’il l’on se réjouit grandement que le ministre Courard se soucie du Cinquantenaire, l’attention qu’il porte aux MRBA nous paraît en revanche décevante, voire inquiétante, à tout le moins très insuffisante. Puisqu’il le faut, rappelons donc une fois de plus que les toitures des MRBA percent en divers endroits, que des travaux lourds menés dans plusieurs salles (jadis dévolues aux collections des XVe et XVIe siècles) sont à l’arrêt depuis des années sans annonce de reprise des chantiers, que l’éclairage est déficient, que la moquette est souillée et râpée, que la présentation des œuvres est surannée mais surtout honteusement lacunaire (les esquisses de Rubens mises en réserves pour cause de ruissellements et l’inestimable collection de sculpture aux oubliettes par indifférence envers ce patrimoine) et que les circuits proposés au visiteur sont devenus totalement incohérents, le tout accompagné d’une hausse du prix d’entrée et de l’obligation d’achat de tickets supplémentaires pour avoir accès aux pseudo-Musées Magritte et Fin-de-Siècle…

On le voit aisément, les raisons de se préoccuper de la situation actuelle et de l’avenir de l’institution ne manquent pas. Malgré cela, la seule chose dont le ministre parle et à laquelle la presse accorde aujourd’hui un peu d’attention concerne le déménagement des collections du musée d’Art moderne pour les installer dans les locaux (à aménager à grands frais) des anciens magasins Vanderborght. Cette information est répétée depuis trois ans comme s’il s’agissait nécessairement de LA bonne réponse aux problèmes posés par l’inaccessibilité des collections dites d’art moderne des MRBA. On se souviendra que ces dernières ont été retirées des salles non pas à la suite d’un accident ou incident quelconque, mais simplement (!) à la suite d’une décision prise par Draguet lui-même : il avait besoin de l’espace pour y installer son « Musée Fin-de-Siècle » et la dation Gillion-Crowet. N’ont été rendues à la vue du public que les œuvres qu’il a exposées aux murs de ce très mal nommé « Musée », puisque celui-ci n’est en fait qu’une section des Musées royaux (voir ici). Que toutes les autres peintures et sculptures des XIXe et XXe siècles restent invisibles était une décision qui ne dérangeait absolument pas le directeur général qui n’avait prévu aucune solution de rechange à leur enlèvement des cimaises.

Les curieuses idées de Michel Draguet sur le Vanderborght

Mais dès la fermeture du Musée d’Art moderne, à la surprise du directeur général, le public fit entendre son mécontentement et des manifestations répétées attirèrent l’attention des médias3 ainsi que, progressivement, de l’un ou l’autre politicien. C’est alors que le « Vanderborght », auquel on songeait à donner une affectation muséale depuis des années déjà, fut présenté comme une solution permettant à Michel Draguet de sortir de l’impasse dans laquelle il s’était lui-même placé. On sait qu’entretemps ce « visionnaire » a improvisé une prétendue stratégie muséographique en déclarant qu’il n’y avait pas eu d’art moderne en Belgique (sauf pendant la période Fin-de-siècle désormais glorifiée grâce à lui) et que par conséquent il n’y avait pas place pour un musée d’Art moderne. Il était donc intellectuellement fondé de ne plus parler de Musée d’art moderne à Bruxelles et d’effacer des mémoires un tel musée, fruit d’une compréhension complètement dépassée de l’histoire de l’art à laquelle ne s’accrocheraient plus que quelques grincheux et autres « pisse-froid » (sic). Par ailleurs, Michel Draguet a découvert qu’il ne fallait pas considérer de manière séparée les différentes formes d’art, héritage selon lui d’une stupide manie taxonomique (sic) : en plus de la peinture et de la sculpture, il fallait dès lors aussi évoquer la création musicale, la poésie, le théâtre, l’opéra, la photographie, le cinéma, la vidéo etc. etc. Dès lors, l’idée d’aller s’installer à proximité de la Monnaie (à 250 m du Vanderborght), lui apparaissait comme l’argument définitif à sortir de son chapeau pour donner corps à ce projet qu’il allait baptiser « Postmodern Lab Museum » et au sein duquel la musique est appelée (c’est du moins ce que l’on croit comprendre) à jouer un rôle éminent en même temps que tous les autres arts qui pourraient expérimenter des formes nouvelles d’expression dans ce laboratoire d’art postmoderne. Tout cela apparaît, pour rester aimable, totalement ridicule.

La solution Vanderborght n’est pas bonne

Si l’on s’en tient à ce qui transparaît des récents communiqués de presse et autres échos, le fond de la question, c’est-à-dire le contenu lui-même du « Postmodern Lab Museum » n’est pas à l’ordre du jour. Cela signifierait-il que c’est à la concrétisation aveugle des élucubrations du directeur général que le ministre voudrait donner son feu vert ? La déclaration de Philippe Courard parue dans la presse ne parle en tout cas que des modalités de financement : « Le dossier est presque mûr, dit-il. Beliris, le financement de Bruxelles par le fédéral, est d’accord d’y collaborer. Laurette Onkelinx l’a dit. On mettra autour de la table la Région bruxelloise, la Ville de Bruxelles, Beliris et nous-mêmes, et j’espère bien pouvoir avoir une décision très vite, avant les élections. » Il convient d’ores et déjà de mettre un bémol à cette proclamation car le site de Brussel TV annonçait dès le 14 février qu’il ne fallait pas compter sur l’aide financière de Beliris. On ne se plaindra pas de ce contretemps probable car il est clair que la solution Vanderborght, du moins celle concoctée par Michel Draguet, n’est pas la bonne. Car bien des questions surgissent à l’analyse.

Il faut se demander si les conseillers du ministre ainsi que les personnes de bonne volonté appelées à la rescousse par celui-ci pour financer ce « Lab Museum » ont écouté d’autres opinions que celles avancées par le maître des lieux et s’ils sont en possession de toutes les données nécessaires pour arbitrer un problème dont ils risquent de ne pas saisir la complexité. Car la solution Vanderborght est mauvaise à bien des égards. D’abord parce qu’il n’y a tout simplement pas la place nécessaire et qu’il n’est pas adapté à cette fonction sauf à y procéder à beaucoup de travaux. Cela a déjà été souligné par Peter Swinnen, leBouwmeester (maître-architecte) flamand appelé à donner son avis sur tout projet architectural à implication urbanistique en Flandre4. Cette objection majeure tombe sous le sens quand on connaît l’ampleur des collections qui attendent d’être rendues à la vue du public5. L’autre question qui surgit est celle de l’opportunité qu’il y aurait de confier à une même direction la responsabilité des collections historiques et la tenue en main d’un centre d’art actuel. Il n’est pas difficile de comprendre que gérer ces types d’institutions relève de métiers différents. On ne peut confier à la même personne à la fois l’animation très particulière d’un centre d’art actuel et la gestion de collections de peinture et de sculpture européennes du XVe au XXe siècle.

Oui à un centre d’art actuel indépendant des Musées royaux, tel que le Wiels

L’art actuel est par définition en phase de perpétuelle création et s’affirme dans des manifestations temporaires fréquentes qui permettent aux uns et aux autres d’en suivre la genèse et de porter des jugements. C’est un tout autre rôle que celui joué par un musée, même d’art moderne. Le rôle des centres d’art actuel est de permettre aux créateurs en tous genres de se faire connaître, libre au marché de l’art, aux spéculateurs, aux historiens et aux critiques, aux institutions muséales, aux amateurs etc. de procéder à des achats et de constituer des collections. On trouve par bonheur à Bruxelles un nombre sans cesse plus grand de galeries très actives qui sont autant de centres d’art dynamiques où l‘on peut suivre l’évolution d’une partie non négligeable de la création contemporaine. On trouve aussi à Bruxelles d’autres lieux encore, justement réputés, où se donne à voir l’art en devenir : le Wiels est de ceux-là, la Centrale Electrique l’est aussi sur un mode mineur, le Palais des Beaux-Arts a en la matière une exceptionnelle expérience de plus de 70 ans et comme les deux autres bénéficie de l’aide publique. En ces temps de rigueur budgétaire, ne serait-il pas utile de s’interroger sereinement sur l’opportunité de se lancer dans le financement d’un « Postmodern Lab Museum » au Vanderborght ? Les idées (peut-être) novatrices lancées par Michel Draguet ne seraient-elles pas plus efficacement mises en œuvre si elles étaient orientées vers l’une ou l’autre de ces institutions existantes et qui ont fait la preuve de leur compétence, dont on ne doute pas qu’elle(s) serai(en)t heureuse(s) de profiter de l’opportunité qui s’offre à elle(s) de bénéficier de davantage de moyens ? Il n’y a aucun doute à ce propos ! Quant au sort du Vanderborght, laissons s’en soucier les héritiers de la débâcle Dexia6.

Il faut sauver le Musée d’art moderne créé par Roger Bastin

La solution Vanderborght n’est qu’un coûteux emplâtre sur une jambe de bois. Il est encore temps de revenir à la raison et d’éviter un faux pas de plus. Les collections dites modernes (XIXe et XXe siècles) des MRBA ne doivent pas être mêlées aux expérimentations des créateurs actuels : elles doivent rester sur le site des MRBA. Il y a 30 ans (c’était en 1984) l’architecte Roger Bastin (1913-1986) leur a conçu, en tenant compte de contraintes innombrables, un écrin dont le fameux puits de lumière est un des éléments clés. C’est dans une partie de ces locaux ingénieusement agencés en sous-sol que Michel Draguet a installé son « Musée Fin-de-Siècle ». Quoique sa première intention ait été de dénaturer sans vergogne le puits de lumière pour en faire un trou noir7, il a fourni lui-même la preuve que les espaces intérieurs du « Bastin » étaient parfaitement viables moyennant une mise aux normes d’aujourd’hui, normales dans un bâtiment trentenaire. Par ailleurs, les déboires qui ont entrainé l’arrêt des travaux de couverture du puits de lumière ont paradoxalement eu pour effet de ramener l’attention générale sur l’originalité du système imaginé par Bastin et la qualité de ses finitions. Les volumes intérieurs quant à eux, que l’on redécouvre en allant visiter le « Musée Fin-de-siècle » ont très belle allure également. Le Musée d’Art moderne de Bastin mérite d’être sauvé. Il mériterait que les défenseurs de l’architecture et du patrimoine se mobilisent plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent. Outre celle de l’Arauhttp://www.arau.org/fr/urban/detail…, on aimerait connaître la position des Archives de l’Architecture moderne, de la Fondation pour l’architecture, de la Commission royale des Monuments et des Sites, des différentes écoles d’architecture de Bruxelles et du pays, du Quartier des Arts, de l’Association du Patrimoine artistique, de Pétition Patrimoine etc.

Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? C’est là, dans les bâtiments de Roger Bastin, que la collection moderne des MRBA doit retourner. La mise en œuvre de ce retour aux sources ne devrait pas être trop difficile à réaliser. Car ce qui est montré dans le « musée Fin-de-Siècle » est, on l’a dit, déjà pour l’essentiel composé de ces collections d’Art moderne. Les locaux qu’il occupe ne sont qu’une partie de l’espace dévolu jadis à l’ensemble de ces collections dans le « Bastin ». Redisposons-y les tableaux et sculptures écartés par Michel Draguet. Le contenu de l’actuel Fin-de-Siècle ne devrait guère être modifié. Il retrouverait même sa place logique, voire privilégiée, au cœur de l’évolution de l’art au tournant des XIXe et XXe siècles. Quant à la collection Gillon-Crowet, il n’y pas d’inconvénient à ce qu’elle reste en place puisqu’elle est déjà actuellement présentée en dehors du circuit de visite. Il ne fait pas de doute que la remise en état de bon fonctionnement du « Bastin » accompagnée d’une remise à l’honneur de l’ensemble des collections d’art moderne des MRBA serait une opération médiatique susceptible d’attirer du monde. Ce serait aussi un acte de bonne gestion dans la mesure où l’investissement consenti servirait à entretenir et améliorer le fonctionnement d’un bien existant plutôt que de se lancer dans de projets contestables dévoreurs d’argent public.

A plus long terme, et compte tenu de la nécessité reconnue d’intervenir dans la remise en état et la réorganisation du Cinquantenaire, on peut imaginer que la collection Gillon-Crowet rejoindrait un jour là-bas, en toute logique, le beau fonds Art Nouveau des collections qu’elle viendrait magistralement compléter. Et dans la foulée, à l’occasion de ces travaux et remises en ordre, pourquoi ne pas envisager, dans l’esprit de collaboration qui anime les responsables des diverses sections des établissements scientifiques fédéraux concernés, de procéder à des échanges ou des transferts de manière à rendre au mieux compte de la diversité et de la complexité de la création artistique au cours des temps ? Ce défi, marqué du sceau du bon sens, ne mériterait-il pas d’être relevé ? Pas besoin de fusion, de « pôle art » et autres vains chambardements pour atteindre cet objectif !

En attendant, d’autres épisodes sont annoncés

Cela dit, il faut se demander qui prendra la direction de cette réorientation à donner à la gestion des Musées royaux. Au Cinquantenaire cela pourrait faire l’objet des engagements du nouveau directeur qui sera bientôt nommé. Aux Musées des Beaux-Arts, une injonction du ministre s’impose-t-elle dans la mesure où on voit mal Michel Draguet en prendre l’initiative ? Une autre éventualité pourrait se profiler : celle du départ de l’actuel directeur général. La question n’est pas théorique : Bert Anciaux, ancien ministre socialiste flamand de la culture a déclaré tout récemment (le 12 février) sur TV Brussel que la tournure des événements et l’accumulation des erreurs commises pas Michel Draguet justifieraient bien qu’il soit démis.

On n’en est pas là. Mais de nouveaux épisodes sont quand même d’ores et déjà programmés : La Libre Belgique de ce 21 février annonce que Michel Draguet, décidément sur la défensive, tiendra le jeudi 27 février une conférence de presse-bilan, entouré du ministre Philippe Courard et du président de l’Administration, Philippe Mettens. Le même journal, bien informé en ces matières, signale aussi que la question du Vanderborght doit être débattue dans les jours à venir par le gouvernement. C’était prévu pour ce 21 février ; ce sera plus tard. Soyons confiants dans l’évolution de ce dossier et dans la prise de conscience progressive en lieux utiles de son véritable contenu.

Denis Coekelberghs , La Tribune de l’Art, samedi 22 février 2014 

Notes

1. On se souviendra que Constantin Chariot, ancien conservateur des Musées de Liège, fut en son temps classé ex-aequo avec Michel Draguet lors de la sélection d’un candidat à placer à la tête du Cinquantenaire (voir). Comme le monde politique se disait à l’époque à la veille d’une fusion des institutions, il fut décidé que celui-ci garderait le poste à titre intérimaire. Trois ans plus tard, on se retrouve donc à la case départ !

2. Le dernier éditorial du vénérable Burlington Magazine donne le ton

3. On songe en particulier aux actions de l’association MuséesansMusée.

4. Voir le site renvoyant à un article paru dans le journal De Standaard.

5. Selon La Libre Belgique du 21 février, la parlementaire socialiste flamande, Yamila Idrissi, considère quant à elle que « Le Vanderborght convient parfaitement [sic] pour héberger provisoirement cette collection, mais il ne convient pas pour en faire un musée d’Art moderne et contemporain permanent ». Nous livrons ces propos à titre purement informatif, car nous ne connaissons pas le point de vue de l’intéressée sur l’ensemble du problème lié à l’avenir des MRBA. Ajoutons qu’elle est de ceux qui plaident pour la construction (sans autre argument, semble-t-il, que celui d’un utopique « geste architectural fort ») d’un nouveau musée sur les bords du canal, du côté de la Porte de Ninove.

6. Dans le projet d’accord à conclure entre les différentes parties prenantes, la Ville de Bruxelles, devenue propriétaire du « Vanderborght » à la suite de la déconfiture de la banque Dexia, cèderait ces bâtiments pour trente ans à l’Etat belge pour un euro symbolique. A ce jeu de la patate chaude, la Ville de Bruxelles se déchargerait donc de l’entretien d’un bâtiment dont elle ne sait trop que faire n’ayant pas les moyens d’y consacrer l’argent nécessaire pour le faire vivre.

7. Ce sont les travaux destinés à couvrir le puits de lumière qui ont provoqué l’inondation de l’exposition Van der Weyden. On peut penser que ce projet de couverture est définitivement oublié. Mais l’affaire n’est juridiquement pas classée quant aux responsabilités engagées, Michel Draguet attribuant la faute aux entreprises.

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Courard arrête les Pôles

POLITIQUE Le Cinquantenaire, qui risque de fermer, ne sera plus dirigé par M.Draguet.

Philippe Courard (PS), le secrétaire d’Etat à la Politique scientifique, a tranché dans le vif. Il arrête le lancinant projet de fusions et de synergies entre les dix établissements scientifiques fédéraux, dont les grands musées, la Bibliothèque royale, etc.

Ce lundi, Philippe Courard était face au président de son administration, Philippe Mettens, entouré de tout son comité de direction, qui venait lui vendre la nouvelle version du projet de « Pôles » préparée depuis des mois par de multiples groupes de travail. Par rapport au projet très directif de quatre Pôles avec fusions et directions uniques, cette nouvelle mouture était bien plus consensuelle. Elle ne prévoyait plus que la fusion du musée des Beaux-Arts et du Cinquantenaire. Pour le reste, les Pôles seraient plutôt des associations volontaires à géométrie variable, pour rechercher des synergies.

« Mais je ne déposerai pas cette note au Conseil des ministres, nous a déclaré le ministre Courard lundi midi. D’abord parce que, politiquement, le moment n’est pas favorable. Une telle réforme doit être encadrée, implémentée, suivie. Toutes choses difficiles à faire dans un climat préélectoral de tensions où chacun voudra rouler des mécaniques. C’est trop important pour réaliser cela dans un climat de pugilat politique. Il s’agit, je le rappelle, du futur de près de 4 000 personnes ! Et j’ai l’expérience des fusions, l’ayant fait entre deux administrations wallonnes pour 10000 personnes. »

Pas aussi unanime

Mais, sur le fond aussi, Philippe Courard a des doutes. « La première note sur les Pôles avait été critiquée par tous ou presque. J’avais rencontré chaque directeur, seul à seul. J’ai demandé qu’on retravaille, ce qui a été fait, mais les choses ne sont pas encore mûres. Il reste trop d’incohérences et d’incompréhensions. Certes, tout le monde a donné son feu vert, mais non sans faire état aussi d’inquiétudes. Ce n’était pas aussi unanime qu’on a bien voulu le dire. Beaucoup craignent encore une centralisation du pouvoir et de perdre, par exemple, leur autonomie scientifique sur le plan international. La réforme n’est pas assez aboutie. Il faut continuer le travail et arriver à laisser une large autonomie d’action à chaque institution, tout en rech erchant des synergies et des économies d’échelle qui pourront alors être réinvesties dans la politique scientifique. J’ai bien vu que les gens se sont sentis bousculés. »

(…)

Quid alors de l’avenir de ce plan Pôles qui fut, à l’époque, approuvé et appuyé par Paul Magnette (PS), alors responsable de la Politique scientifique, et qui « traîne » depuis des mois maintenant ? « Ce sera au prochain gouvernement de voir s’il poursuit dans cette voie. Le travail effectué par les 59 groupes de travail reste bon. Il faudra poursuivre le travail.« 

Philippe Courard ne craint pas que le report de la réforme ne vienne télescoper les demandes éventuelles de la N-VA et des partis flamands sur ces institutions après les élections.

(…)

Et qu’en est-il du déménagement du musée d’Art moderne, actuellement fermé, au Vanderboght ? « Le dossier est presque mûr. Beliris, le financement de Bruxelles par le fédéral, est d’accord d’y collaborer. Laurette Onkelinx l’a dit. On mettra autour de la table la Région bruxelloise, la Ville de Bruxelles, Beliris et nous-mêmes, et j’espère bien pouvoir avoir une décision très vite, avant les élections. »

Le projet de Philippe Mettens, qui a porté cette réforme durant des années, est donc recalé. C’est le second échec majeur pour lui, après l’abandon du grand plan de digitalisation, le partenariat privé-public, remplacé par bien plus modeste.

DUPLAT GUY,  La Libre, mardi 11 février 2014 

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Draguet: « Si on ne fait rien, on fonce dans le mur »

Voilà des mois et des mois que les mêmes dossiers restent en rade : où mettre les collections du musée d’Art moderne alors que celui-ci a été fermé par le directeur du musée des Beaux-Arts, Michel Draguet, le 1er février 2011, pour y placer le « Musée fin de siècle » qui ouvrira le 6 décembre prochain? Et Bruxelles aura-t-elle un jour un nouveau musée d’Art contemporain, et où ? Va-t-on regrouper les dix établissements scientifiques fédéraux (les ESF : musées, Bibliothèque royale, Archives, IRM, Observatoire, etc.) en quatre Pôles, avec synergies et directeurs uniques ou pas? Avec un Pôle Art dirigé par Michel Draguet, regroupant les Beaux-Arts, le Cinquantenaire et l’Irpa ? En attendant, depuis des années, quatre ESF ont des intérimaires à leur tête. Le monde politique, manifestement, reste divisé et la proximité des élections de mai 2014 va rendre toute décision encore plus difficile.

Nous avons interrogé Michel Draguet, au centre de ces projets, mais aussi au centre de quelques polémiques. Un groupe interministériel a étudié l’idée de Pôles et s’est posé de nombreuses questions. La personnalité autoritaire et centralisatrice de Philippe Mettens, le « patron » de la Politique scientifique, a aussi suscité quelques réticences. Et le dossier du musée d’Art moderne est à la Régie des bâtiments, qui tarde à décider et à envoyer au gouvernement le projet de déménagement à l’ancien Vanderborght.

Pourquoi voulez-vous cette fusion dans un Pôle Art dont l’intérêt est souvent mis en doute?

Je suis absolument convaincu de sa nécessité. Le budget du musée des Beaux-Arts est de 4,3 millions d’euros et, au Cinquantenaire, de 5,6 millions. Et nous devons économiser dans chaque musée, en 2013, 500 000 euros. C’est énorme et ceux qui disent que la Belgique ne fait pas d’économies se trompent. Dans un tel cadre, je suis convaincu que chaque institution ne peut plus s’en sortir seule et qu’il faut faire des économies d’échelle. Les Archives viennent de dire qu’elles ne peuvent acheter leur mobilier pour leur nouveau centre à Namur. Il faut donc organiser une solidarité. Chacun n’a pas l’assiette suffisante pour assumer seul les économies exigées.  Dans le Pôle Art, il y a actuellement quatre directeurs par ESF, soit 12 au total. Faire un Pôle permet de diminuer fortement ce nombre et même de trouver des marges pour nommer des responsables à des fonctions qui ne sont pas remplies aujourd’hui : comme un juriste, un responsable marketing, un pour le mécénat. Et surtout, pour redéployer les musées et pour leur assurer un avenir. Ce que nous avons commencé à faire avec le musée Magritte et qu’on continue, le 6 décembre, avec le musée Fin de siècle
Certains mettent en doute que cela fasse des économies et voient surtout le risque de « superdirecteurs », dont vous qui n’avez pas que des amis?
Je ne vois pas comment faire autrement les économies demandées. D’autre part, le spectre d’une dérive autoritaire me fait sourire. Si je devais diriger le Pôle Art (il y aurait un appel à candidatures), mes pouvoirs resteraient bien moindres que ceux de Jean-Luc Martinez, juste nommé au Louvre.
Pour les Pôles, le groupe intercabinet a demandé que chaque musée et ESF consulte son comité scientifique pour savoir si ces Pôles pouvaient nuire ou pas à la recherche. Comment cela s’est-il passé dans les deux musées que vous dirigez (Beaux-Arts et Cinquantenaire)?
Il y a eu beaucoup de questions mais aussi de l’enthousiasme, avec un consensus pour que les choses changent. Je sais qu’à l’Irpa, les craintes restent grandes, ils ont peur de disparaître malgré les assurances données que ce sera le contraire.
Vous cristallisez des oppositions, en ayant fermé le musée d’Art moderne, et récemment en déclarant que ce serait sans doute un membre du personnel du Cinquantenaire qui aurait volé des « pièces » dans les réserves, qu’on a retrouvées en vente à Christie’s.
On a interprété mes propos. J’ai dit que, dans les réserves, le public ne rentrait pas et que c’était le personnel qui y avait accès. Cela fait des années que je dirige ad interim le Cinquantenaire sans être payé pour cela : j’éponge les difficultés, je fais le boulot. Je comprends l’inquiétude du personnel mais je sens aussi chez les jeunes conservateurs (et d’autres !) un vrai enthousiasme. On travaille à y faire un vrai musée de l’Antiquité en lien avec les autorités européennes toutes proches. Un autre exemple : j’ai demandé de faire un inventaire des réserves quand il n’y en avait pas. La responsable Archéologie m’a montré la montagne de pierres à archiver. Impossible. On lui a donné les moyens de le faire. A côté des économies, il faut augmenter nos recettes. On m’a reproché les prix de l’expo Kandinsky. J’en ai tenu compte partiellement pour l’expo van der Weyden (prix pour étudiants) mais il faut trouver des recettes et le prix sera celui de Kandinsky.
Que se passe-t-il si le gouvernement ne décide rien? 
On ira droit dans le mur. Cela signifiera de moins en moins de moyens ; nous allons péricliter et cela peut provoquer rapidement un effet d’emballement à la baisse. Mais il ne faut peut-être pas tout décider à la fois, faire tous les Pôles à la fois. On pourrait phaser les choses et décider d’abord pour le Pôle Art.
Qu’en est-il du déménagement du musée d’Art moderne au Vanderborght?
Rien n’a bougé. Enfin si, car l’Inspection des finances a totalement validé notre plan et nous a donné le feu vert. Cela me permet déjà, en attendant une décision gouvernementale, de m’occuper du fond du projet et de ne plus avoir ce visage « vénal » qu’on me prête parfois d’un homme occupé par les finances ou par le seul Magritte qui serait un « peintre facile ». J’en ai marre d’apparaître comme cela, je veux parler contenu. On a vu comment l’œuvre de Jan Fabre s’est bien intégrée au grand escalier du musée. J’ai admiré à Grignan, en France, l’église « habillée » de lumières colorées par Ann Veronica Janssens. J’aimerais un équivalent au musée, introduisant à la lumière des primitifs flamands. Je pense à Thierry De Cordier et je rêve de créer au musée, comme la chapelle Rothko à Houston, un endroit « spirituel » où le visiteur peut se ressourcer.
On vous dit très réticent à l’égard de l’art contemporain?
Je ne suis pas fermé à l’art contemporain – d’ailleurs je l’enseigne à l’université depuis des années – sauf si on me dit que Broodthaers, par exemple, ce serait la préhistoire. J’ai simplement des doutes sur le concept d’un musée d’art contemporain car il faut laisser le temps faire son œuvre pour faire un musée. Il y a toujours eu, au moment même, des « déchets » que le temps élague.
A force d’attendre, on perd des possibilités d’acheter à des prix raisonnables. Le musée a raté largement Luc Tuymans. On a acheté par exemple Claerbout. En guise de pure boutade, je dirais que peut-être Tuymans sera demain comme Louis Carbonnel qui fut, au XIXe sècle, le peintre le plus cher. Pour le Vanderborght, qu’on appelle le « Lab » (« Postmodern Museum Lab »), on travaille déjà en faisant des parcours virtuels et en préparant les premières expositions (« Dubuffet et de Kooning », « Marcel Broodthaers » en collaboration avec le Moma). On vise 2017.
Et le futur musée?
Je voulais le mettre au Cinquantenaire, mais je me suis rallié à la décision bruxelloise de le mettre le long du canal. Le reste, on verra.
GUY DUPLAT, La Libre, Publié le lundi 14 octobre 2013 à 05h39 – Mis à jour le lundi 14 octobre 2013 à 10h26

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